About

L’évolution et les transformations drastiques de notre société conduisent aujourd’hui notre regard vers une multitude de visuels consommables où tout se vaut. Le passage de l’analogique au numérique produit de nouveaux moyens de communication qui ont considérablement bouleversé notre rapport à l’image. Dans ce contexte, je définis la mémoire culturelle comme une banque de données du passé, isolée au sein d’un magma en constante mutation. Les souvenirs sont répertoriés, figés sous la couche de vernis de l’histoire.
J’essaye de matérialiser les héritages artistiques occidentaux puis de les entremêler au rythme des nouveaux changements de notre siècle. Les symboles qui ont façonné l’art occidental se perdent au sein d’une époque où l’information est omniprésente.

Je récupère des bribes de tableaux anciens. Je les utilise comme éléments graphiques prédominants de mes toiles. Mais la mémoire se désagrège. Le temps et le déferlement de nouvelles données favorisent les lacunes. C’est dans ce climat d’incertitudes que mon pinceau tente de former des structures quasi organiques, constituant un maillage coloré.
D’une certaine manière, mon travail s’enracine dans un dialogue entre abstraction et représentation. S‘opère ainsi une synthèse des contraires, une combinaison de la raison et de l’irrationnel. Rien n’est véritablement figuratif. Rien n’est véritablement abstrait. Je copie, je déconstruis, je déforme, j’efface, puis je remodèle et superpose des éléments figuratifs issus de l’art occidental, afin d’interroger la matérialité de la peinture tout en m’éloignant des contraintes de la représentation, de la narration, mais également de l’abstraction.
Je pratique une peinture découpée, une peinture figurative qui devient, par l’intrusion ou au contraire l’effacement de certains éléments, polymorphique. Apparaît alors comme un second moment du motif figuré au travers des drapés et des chairs : un rythme coloré fait de lignes et de taches. Les formes sont suspendues et ne parviennent plus à se fixer en compositions lisibles ni en structures reconnaissables. Elles ne construisent pas d’espaces déterminables. Mais elles fourmillent de gestes, de lignes, de figures biomorphiques, de taches, de couleurs. Elles semblent parfois déraper sur la toile, et finissent par masquer l’identité des figures représentées.
Si je procède fréquemment à des collages préparatoires sur ordinateur, le document numérique tient une place significative dans mon processus. Il n’est pas une simple source d’inspiration. Sa nature intrinsèque entre en résonance avec ma réflexion et nourrit mon imaginaire. Car l’image issue d’Internet a une présence particulière, elle donne à voir par abstraction, elle est décontextualisée, isolée dans le temps et dans l’espace, elle n’appartient plus à l’histoire et se retrouve noyée dans une masse de données où chaque image en vaut une autre.
J’utilise le repentir, je rogne volontairement les différentes couches afin de maintenir ce statut de calque propre à l’infographie. Ces morceaux d’images sont comme des autocollants que je dispose sur la toile. L’idée de superposer un élément figuratif sur un autre revient à dénaturer le sens premier de la peinture initiale qui devient fond.

J’élimine les considérations liées à la mise en scène pour revenir à une problématique uniquement picturale. Sur de nombreux tableaux, la ligne est délibérément hésitante, parfois à l’antithèse des silhouettes lisses et vigoureuses associées à la peinture classique : tremblantes, les formes débordent et bavent. Ce qui lie les œuvres les unes aux autres, c’est la tension constante qui fait fusionner les éléments figuratifs aux évasions abstraites.

Des lignes en relief, dédoublées en deux teintes, claires et foncées que j’appelle « flux d’énergie » se manifestent de manière récurrente. Elles se superposent les unes sur les autres, créant un amas qui semble chaotique sans pourtant s’entremêler. Elles peuvent être fines ou épaisses, espacées ou resserrées, créant différents rythmes. Le point de départ de cette série est une fascination pour les flux humains et financiers de notre époque qui peuvent avoir pour effets positifs le métissage et l’hybridation, mais qui peuvent aussi engendrer des conflits et des collisions. Je les transpose dans des trajectoires explosives, des éclatements et des superpositions, autant de formes et de lignes qui entraînent le regard vers un fond vertigineux. Ici aussi, la frontière entre représentation et abstraction est floue et mouvante. Je me sers de l’abstraction pour contrer l’inflation médiatique de l’image et utilise cette dernière pour miner les prétentions métaphysiques de l’abstraction. La ligne, simplement peinte, évoque un tracé primitif, hors d’âge. Mais elle peut aussi s’apparenter à une artère, comme à une onde lumineuse, ou sonore. Aucune de ces peintures n’a de commencement ni de fin : le commencement de l’une peut être pensé comme la suite de l’autre, tandis que son achèvement est en réalité le point de départ de la suivante, donnant lieu à une prolifération tentaculaire d’excroissances organiques. Le processus pictural s’apparente à un travail de tissage, créant une sorte de plexus, véritable réseau organique constitué de nerfs et de vaisseaux. Un monde impénétrable.

Depuis peu, je m’intéresse à la peinture de paysage à travers une élaboration abstraite. En utilisant des captures scannées, je réalise une base de travail transcrite en trois dimensions que j’écrase ensuite. Composée au hasard de mes déplacements, l’image apparaît comme rongée, découpée. Les territoires imaginaires deviennent tapis de couleurs. La référence directe à la technologie s’estompe au profit d’un tissage multicolore. Dans un univers où l’homme modélise à outrance l’architecture de l’habitat, je projette une nature malléable. Je recompose à ma manière des cartographies idylliques et fantasmées. Ces toiles tentent de dissiper la matérialité de la peinture figurative au profit d’un illusionnisme abstrait. De près, la touche est impressionniste. Avec du recul, les traitements picturaux disparaissent pour laisser place à une composition organique.

Au final, mon travail s’apparente à une tentative d’affranchissement de la peinture, aussi bien vis à vis des codes de la peinture figurative que de ceux de la peinture abstraite. Ce que je recherche, à travers mes toiles, c’est l’autonomie de la peinture.